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journalimaginairedelourdesmaria

6 juillet 2009

Dimanche.

C’est mon seul jour de tranquillité relative ! Il faut que j’avance, vite, car l’entretien se déroule demain soir, dans les salons de ma suite. J’ai hâte d’y être, mais j’ai le trac !

Plus élégante que jamais, très rétro et moins star que pour « Vogue », la voilà transposée dans l’époque de « Evita ». Le film est superbe mais il est très marqué par les similitudes entre la femme du président argentin et la chanteuse.
L’ouverture du film est terrifiante, marquant l’affliction d’un pays tout entier à la mort inattendue de la célèbre première dame. On ne peut s’empêcher de penser, dans ces processions, aux manifestations du public si ma mère venait à mourir soudainement. J’imagine que les files d’attente pour lui rendre un dernier hommage serait aussi longues et que, peut-être, les Etats-Unis et pourquoi pas le monde entier, révéreraient sa personnalité, son talent et sa carrière. Comme c'est triste d’imaginer cela…
Mais le film tout entier semble mettre en parallèle la vie de ma mère et celle de la petite Eva : toutes deux en manque de père, elles partent pour la capitale en espérant y faire fortune et trouver l’amour. Hélas, vivant dans les bas-fonds, elles écument les petits boulots et les difficultés amoureuses avant de rencontrer un homme qui leur mettra le pied à l’étrier. 
L’une et l’autre se servent de leur féminité et de leur sexe pour progresser dans la vie, jusqu’au trône, jusqu’à ce qu’elles_ne_puissent_plus_redescendre
L’une est démagogue, l’autre donne au public ce qu’il attend. L’une ne pense qu’à elle sans l’admettre, l’autre le revendique.
L’une et l’autre sont très appréciées par les gens ordinaires et moins de la classe supérieure qui les méprise, jusqu’à ce que l’évidence la force à les accepter.
L’une meurt très jeune, l’autre apprend son premier véritable échec.
Et ainsi de suite.

C’est une évidence que le rôle lui va à merveille, mais joue-t-elle vraiment ? Eva Perón et ma mère se ressemblent trop pour que cela soit pris pour un rôle… Et la chanteuse est encadrée par la musique ; il n’y a pas vraiment besoin de convaincre une fois que l’enregistrement a été bouclé.

Pourtant, sa voix a beaucoup changé, elle a énormément progressé et cela se ressent. La comédie musicale est exigeante, et l’artiste s’y est pliée de bon gré. Elle en sort grandie…

Retrouvant Antonio Banderas pour lequel elle avait craqué dans les années quatre-vingt-dix sans réciprocité, elle chante et joue la comédie (ou sa vie ?) auprès de Jonathan Pryce et Jimmy Nail.
Le premier extrait est « You must love me » (« Vous devez m’aimer »), une ballade écrite exprès pour le film. Déroutant, c’est le mot qui me vient aux lèvres quand j’écoute ce titre joué par un orchestre symphonique. On est très loin de ce que l’on attend de ma mère…
Le visage fermé, les vêtements sobres, l’allure élégante, on est à des années-lumière de la Dita de « Erotica ». Je me demande laquelle je préfère ! Rires…

La période est très émouvante pour moi, les photos sont nombreuses à la montrer enceinte pour la première fois, accompagnée de mon père. Je n’ai plus de mots, juste des larmes qui coulent, des larmes de joie et de tendresse…

Laisse-moi un peu tranquille, journal. Je t’ai beaucoup donné, je voudrais respirer.

(Coupure)

La chanson « You must love me » semble m’être adressée. Je ne sais ce que peut ressentir une mère qui attend un enfant, mais j’imagine que l’on doit être anxieux, espérant bien faire, priant pour être une bonne maman et pour être aimée telle que l’on est par l’objet de son affection.
Je suis trop troublée pour m’exprimer…

(Coupure)

J’ai vu ma mère morte, vénérée par des milliers de figurants, j’ai vu ma mère nue sur une autoroute, j’ai vu ma mère dompter des stades et dominer des dizaines de milliers de personnes, j’ai vu ma mère humiliée et abattue…
Comment survivre après ça ?

Le deuxième extrait de l’album est le tube : « Don’t cry for me Argentina ». La chanson peut sembler un peu ridicule (« Ne pleure pas pour moi, Argentine ») mais elle est efficace, surtout grâce aux remixes de Pablo Flores, l’auteur des meilleurs remixes latino pour Gloria Estefan, par exemple.
Il mélange la dance et le tango, c’est magnifique.
Le tout est très efficace, autant la version classique que la version club. Tout le monde y trouve son compte et ce titre offrira à la chanteuse son second numéro un en France, l’autre étant « La isla bonita ». Il n’est jamais trop tard ! Rires.

Des photos de ma mère enceinte la montrent énorme…. Pardonne-moi maman ! Je suis désolée d’avoir fait dévier ta ligne si fine habituellement… ! Comme je me sens proche d’elle, comme je la reconnais enfin, celle que j’aime, celle qui m’a élevée et qui a enfin le visage de l’amour et de la paix.

« Buenos Aires » devait être le single suivant, mais il a été annulé, laissant simplement aux clubs le plaisir des remixes de Pablo Flores. « Another suitcase in another hall » est sorti dans quelques pays du monde, avec cette phrase vulnérable et touchante qui me laisse les larmes aux yeux : « Et maintenant qu’arrive-t-il ? Et maintenant, que se passe-t-il ? Ne demande pas… ».

Je dois arrêter. Je reprendrai plus tard, je suis trop émue. 

Voilà, je peux reprendre, un peu.

« Le 14 octobre de la même année, la célèbre chanteuse donne naissance à son premier enfant, Lourdes Maria Leon ».
C’est moi.

Les photos me troublent bien plus que les vidéos, ces images gérées, organisées, peintes, chorégraphiées… Il y a des photos de mes parents à la remise des Golden Globe, juste après l’accouchement : ma mère est bien plus grosse que d’ordinaire, mais elle a tourné cela en avantage en arborant un décolleté généreux. Ils forment un beau couple, bien que ma maman semble très fatiguée.

Il y a également quelques photos de moi, bébé ordinaire tenu dans les bras de sa mère, mais descendant d’un avion privé. Normal. C’est fou, quand le plan est plus large, d’apercevoir le nombre de personnes qui nous entourent à chaque minute de notre vie : une nurse, voire deux pour se relayer, un chauffeur, un cuisinier, des gardes du corps, le pilote de l’avion, le secrétaire, etc… C’est complètement dingue, et le plus incroyable, c’est qu’on puisse se passer de tous ces gens. Quand on a une vie ordinaire. Sinon, oubliez ! Vous n’auriez jamais le temps en une journée d’abattre le travail de tous ces employés.

La série de Mario Testino pour Vanity Fair, en mars 1998 : pour la première fois, j’ai une photo officielle. Dans une posture presque naturelle et rappelant pourtant tous les tableaux « Madone à l’enfant », ma mère semble détendue, reposée, équilibrée. Elle apparaît maquillée naturellement, sans trop en faire. Moi, je suis brune, frisée comme un mouton, et je joue avec un crayon. Je regarde le photographe alors qu’elle, très professionnelle, fixe l’appareil.
Mon seul regret, sur cette photo : on voit ma couche !

Il me reste encore tant de choses à voir, écouter, lire, apprécier… Je ne sais par quoi commencer, d’autant plus que l’énergie me manque. Je voudrais me reposer un peu pour être en forme pour demain.
Et il est déjà presque minuit !

Je vais commencer « Ray of light », il semble que ce soit un album important dans sa carrière ; c’est en tout cas très certainement une pierre angulaire.

Je vais l’écouter d’une traite, dans l’ordre, avec les remixes suivant les versions de l’album.
Cela me permettra d’avoir une meilleure vue d’ensemble, et je n’ai, jusqu’à présent, jamais travaillé ainsi à découvrir le travail de ma maman.

L’album ouvre sur « Drowned world / substitute for love » (« Monde noyé / substitut d’amour »).
On sent la patte de William Orbit, le vernis qu’il apporte à la chanson et à l’album entier est fabuleux, envoûtant. La voix est chaude, présente, pleine de sentiments. On a l’impression qu’elle se livre totalement à nous, sans fard.

Je note le retour de Patrick Leonard, champion toutes catégories des mélodies accrocheuses. Il ne manque que la couche d’électropop appliquée par l’équipe de William Orbit. C’est un bon moyen d’obtenir de belles mélodies et un traitement différent de ce que l’on entend à cette époque.

« Drowned world / substitute for love » parle de la célébrité, de la course au succès et des apparences : « J’ai échangé l’amour contre la célébrité sans hésitation, c’est devenu un jeu idiot, certaines choses ne s’achètent pas ». Elle décrit le vide derrière la célébrité, alors que le véritable amour, sincère, sans attente de quoi que ce soit, n’existe pas. Du coup, elle « change_d'avis », selon la dernière phrase, et recherche des valeurs plus concrètes et moins fugaces.

La vidéo montre la chanteuse fuyant les paparazzis (Lady Diana est décédé un an auparavant dans ces circonstances, rendant la vidéo assez malsaine), lassée des célébrités futiles dans les soirées mondaines… Une femme de chambre lui sourit, simplement, et elle lui rend son sourire. Mais la femme de chambre sort un appareil photo… La fuite continue jusqu’à arriver dans les bras de sa fille… Qui n’est pas interprétée par moi ! C’est honteux !

« Swim » (« nage ») évoque les difficultés de la vie, quand tout semble pesant et que l’on se sent maudit : « Je ne peux pas porter ces péchés, je ne veux plus les porter, je veux faire dérailler le train, nager jusqu’au fond de l’océan, m’écraser sur l’autre rive ». Plus largement, l’artiste évoque le monde qui semble devenir toujours plus fou (on le dit depuis des centaines d’années !) et l’envie de tout exploser.

« Ray of light » (« Rayon de lumière ») est une reprise ! Curtiss & Maldoon avaient déjà sorti ce titre en 1971 sous le titre « Sepheryn », avec des accents très seventies, très hippy.
Pourtant, la version de la chanteuse est très différente, un peu de rock (les guitares) et beaucoup d’électro (les machines !). Le tout en fait un titre très rapide, énergique et bondissant. Pas étonnant que Microsoft l’ait utilisé pour sa campagne publicitaire…
La chanson n’est pas très personnelle, mais elle est vraiment bien. Cela suffit généralement à faire avancer une carrière, apportant un tube de plus à celle qui en cherchait désespérément depuis quelques années… Et ça ne créé pas de scandale, il n’y a pas de subtil sous-entendu ! Tout le monde est ravi !
La voix de la chanteuse a énormément changé et s’est beaucoup améliorée grâce aux leçons nécessaires pour chanter « Evita ». Le registre est plus varié, la voix se transforme et l’on a l’impression de découvrir de nouveaux horizons.

« Candy perfume girl » se veut ésotérique, avec des paroles posées sur un rythme envoûtant et des guitares en fond. Le tout me touche peu, même si la voix est très présente, chaude et rassurante.

« Skin » (« Peau ») est une chanson très électro, très rythmée et en même temps proche d’une extase de yoga. Les paroles et les sons enveloppant la voix vous transportent : « T’ai-je déjà vu ailleurs ? Pourquoi me donnes-tu toujours envie d’en avoir plus ? Pourquoi toutes les choses que je dis sonnent comme les stupidités que j’ai dites auparavant ? ». L’appel à la compréhension, à l’amour, à la connexion spirituelle est très fort : « Embrasse-moi je meurs, pose ta main sur ma peau, je ferme les yeux, j’ai besoin de ta protection, je ferme les yeux…. ».
Ce titre, malgré un rythme effréné, est très touchant, très émouvant.
C’est sans doute mon préféré jusqu’à présent.

« Nothing really matters » (« Rien n’a vraiment d’importance ») est une ballade triste et un constat, comme « Skin » ou « Substitute for love », des erreurs du passé : « Quand_j'étais_très_jeune, rien d’autre n’avait d’importance que me rendre heureuse, il n’y avait que moi qui comptait. Maintenant que j’ai grandi, tout a changé, je ne serai plus jamais la même à cause de toi ».
C’est sans doute la phrase la plus triste et la plus réaliste : la chanteuse, la femme a changé, elle a grandi mais je ne dirais pas à cause du public ou de quelqu’un en général, mais par ses erreurs, par ses échecs, par son entêtement aussi, elle a dû évoluer et devenir quelqu’un d’autre.
Parfois, je retombe sur une photo de cette jeune femme en collants fluos, les cheveux hirsutes, le rouge aux joues et aux lèvres, provocante, scandaleuse et bouillonnante.
Elle s’est calmée, elle a cru qu’elle pourrait tout faire et elle a testé les limites de sa popularité.

Je l’aime beaucoup maintenant, moins folle, moins emportée, moins égoïste aussi. Elle l’admet d’ailleurs dans cette chanson. C’est d’autant plus rassurant que, dans l’album précédent par exemple, elle accuse les autres de l’avoir poussée à la chute. Mais elle a été le seul instrument de sa défaite.
Inutile de blâmer les autres, inutile d’être amère.

« Rien_n'efface_le_passé, sauf le futur, rien ne repousse les ténèbres comme la lumière ».
Voilà des paroles d’une grande maturité et d’une belle humilité.

Je suis fière d’être ta fille, maman.
Je suis fière de toi.

« Nothing really matters » est la transcription en vidéo du livre « Les mémoires d’une Geisha », énorme succès littéraire dont a été tiré un film (moins bon d’ailleurs, à mon goût).
Le meilleur remix de ce titre est Kruder___Dorfmeister remix, une version lounge loin des versions club, très lente, progressive et pleine d’émotions. Spirituelle, émouvante, envoûtante, cette version respecte totalement la chanson et l’état d’esprit de l’album. Et elle apporte une dimension supplémentaire au titre.

« Sky fits heaven » est une sorte de pendant religieux et dance de l’album : très spirituel, le texte développe l’idée que chacun suit sa propre route, commençant par son cœur, suivant les signes disposés le long de son chemin.
Il faut avoir confiance et savoir ressentir plutôt que penser.
J’aime cette chanson, même si elle semble donner des leçons.

« Shanti / ashtangi »… Décidément, les titres commencent souvent par des S, et il y a souvent des barres obliques ! La chanson est un délire personnel très électro sur chants spirituels en sanskrit. C’est étonnant de l’écouter chanter cela, à la manière d’une Donna De Lory (« The lover and the beloved » reprend des chants sanscrits et sert très souvent de musique pour les pratiques de yoga) et d’une Nina Hagen (la star punk allemande a toujours été très attirée par les religions hindoues et elle a également proposé un album entier de chants indiens « Om Namah Shivay »).

« Frozen » (« Gelé ») est le premier single extrait de l’album. C’est lui qui a donné le ton du changement, de la nouveauté. La vidéo est superbe et envoûtante ; désolée de me répéter mais aucun mot ne semble être plus correct que celui-là à la vue des images troublantes de ma mère brune (merci au perruquier !) se transformant tour à tour en dobermans et en corbeaux.
En suspension dans les airs, perdue dans un désert froid, de nuit, elle ondule et ses mains décorées de henné tracent des symboles ancestraux dans l’air tandis qu’elle se démultiplie…
Magistral réalisateur que ce Chris Cunningham, ajoutant une dimension gothique et ésotérique à cette chanson superbe mêlant électropop et violons orientaux arrangés par Craig Armstrong

Mention spéciale au compositeur William Orbit qui a réussi la version album, un remix dance et un remix version longue proche de l’album en plus ésotérique encore….

Les paroles sont douces amères, expliquant qu’il faut s’aimer soi-même et aimer les autres pour être aimé en retour. On ne pense qu’à ce que l’on peut retirer des choses et des relations avec autrui, sans donner gratuitement de soi. « On se consume avec de la haine et des regrets ».
La seule phrase qui me choque un peu est : « tu_es_dévoré_par_l'idée_de_combien_tu_gagnes ». C’est si facile à dire et à chanter quand on a déjà tout et que l’on s’adresse à des gens qui n’ont pas l’aisance matérielle ni les buts spirituels qu’une chanteuse internationale peut avoir…

Je trouve ça un peu déplacé, même si l’on sent bien qu’elle ne parle qu’à elle-même, au final. C’est sa quête spirituelle, son équilibre qu’elle recherche et c’est son autocritique que l’on suit dans cet album.

Pourtant, tout cela me semble très vain, toute cette agitation autour d’une chanteuse, autour de l’art qui finalement ne sert à rien, sauf à mieux vivre sans se désespérer. L’art est futile et pourtant c’est ce qui nous différencie des animaux… La discussion serait longue, et sans fin même, tant ce point de la culture est difficile à comprendre dans son ensemble.
Ce soir, je pense à ceux qui sont dehors et dorment dans la rue tandis que moi, je suis dans un hôtel de luxe. Je pense à ceux qui vont travailler demain, qui travaillent ce soir, à ceux qui aimeraient travailler… Et moi, j’écris, je creuse mon malaise, je tente de réparer la relation avec ma mère…
Pourquoi suis-je privilégiée ? Pourquoi m’invite-t-on dans des dîners fastueux où je reçois des cadeaux de valeur mais gratuits pour moi, dans lesquels je rencontre des gens très bien qui m’aideront à augmenter ma fortune en exploitant mon nom, mon image ?
Quel genre de prostituée suis-je ?

J’aimerais simplement me rappeler que, si ma vie est celle d’une jeune femme aisée, cultivée et favorisée, tout ceci n’est qu’illusion. Tout est faux. Les gens sont des dilettantes qui exigent de moi de la rigueur morale et physique. Ils sont amateurs mais exigent des professionnels.
Chacun prétend être quelqu’un, joue à être quelqu’un de bien, de fort, de puissant, de sérieux, mais tout le monde sait qu’au fond de soi, il y a un grand vide. Un grand désespoir. Un terrible malaise.

Tout est faux, tout est convention.
On ne tient que par des rapports de force et de séduction, ce qui revient au même.
Tout est mensonge, tout n’est qu’illusion.
On n’accepte que des lois qui sont fondées sur du sable mouvant.

Je voudrais – à mon âge c’est bien prétentieux ! – m’isoler du monde, me protéger des humains et du tourbillon qui vous emporte quand vous vivez en société. Les informations agressives, la télévision abrutissant les masses venues se vider le cerveau, l’achat compulsif, le manque d’amour, l’espoir de trouver enfin le bonheur dans un paquet de gâteaux, de mincir en mangeant des barres de céréales, et ainsi de suite…

La frustration comme cravache, forçant la foule à avancer.

Je veux me protéger du monde, m’isoler, me retrouver au milieu des miens et oublier l’extérieur pour un temps. Peut-être pour mieux m’y replonger, plus profondément, et aider quelqu’un, saisir une main tendue…

Tout est vain, tout est vanité.

Mais continuons, sinon je n’aurai pas le courage. Il faut parfois savoir jouer le jeu, accepter certaines petites humiliations, certains compromis.
Pour arriver à ses fins.

Ne jamais perdre de vue son objectif.

Le mien est de mener une vie d’ermite quand je le souhaite, parce que j’ai la chance de pouvoir me le permettre.
Un peu.

Continuons.

« The power of good-bye » (« Le pouvoir des au revoir ») est une ballade mêlant électro et de véritables instruments. Le texte parle de la rupture et de la douleur qui en résulte, mais il faut savoir dire adieu et partir, pour se libérer.
On apprend de ses échecs.

Dallas Austin en a créé une version plus rythmée et dépouillée.
Mention spéciale concernant l’horreur des remixes de Luke_Slater qui semblent plus proches des bootlegs créés par des fans en mal de versions dance que de véritables nouvelles créations sur la base d’une chanson.
Un rythme martelé ridicule, une phrase tournée en boucle et voilà un remix de Luke Slater. Une autre version en a fait un titre hardcore, sans la beauté violente de Alec Empire pour le « Bachelorette » de Björk.
Faire un remix d’un titre n’est pas chose facile, il faut apporter un élément nouveau, en faire une version pour les clubs ou bien recréer l’ensemble pour lui ouvrir une nouvelle dimension.
Souvent, c’est créatif, intéressant, original. Rarement, mais cela arrive, le remix tombe à côté, détruit l’œuvre de départ. Il vaut mieux éviter de le publier.

« The power of good-bye » devient, en vidéo, un combat, un jeu entre amoureux : l’échiquier est le lieu de leurs disputes mais ma mère refuse de continuer à jouer et elle s’enfuit vers la mer, comme pour s’y plonger et renaître.
L’ambiance sous-marine est assez suffocante et elle ajoute au trouble créé par les images.

« To have and not to hold » (« Avoir et ne pas tenir ») exprime le malaise que ressent la chanteuse pour celui qu’elle aime et qui l’utilise. Elle est attirée par lui, sans arrêt, et ne peut se raisonner.
Elle a cet homme, mais ne peut le garder pour elle.
La chanson est très belle, toute simple et émouvante.

« Little star » (« Petite étoile ») c’est MA chanson ! Je le sais, c’est ainsi qu’elle m’appelait quand j’étais petite, et c’est comme cela que j’aimerais qu’elle me nomme maintenant, murmurant ces mots à mon oreille tout en me serrant fort dans ses bras, en me câlinant sur ses genoux… Oh, maman ! Que s’est-il passé pour que nous ayions perdu tout cela entre nous ?

« N’oublie jamais d’où tu viens, de l’amour », « N’oublie jamais de rêver ». Ma mère y chante son amour pour moi, la chance qu’elle a eu de m’avoir et le bonheur qui emplit son âme par ma présence… Comment ne pas être comblée ?
La chanson tient presque de la ballade, malgré un rythme presque jungle à peine marqué. La voix est douce, comme une berceuse, presque murmurée à mon oreille….

« Tu as apporté de la vie nouvelle dans mon cœur brisé ». C’est vrai qu’on sent l’artiste épuisée, fatiguée de lutter, lasse de chercher à être la meilleure sans en retirer de réel réconfort. Mais me voilà ! Je suis arrivée, je l’ai sauvée et j’ai changé sa vie !

Comment ne pas se sentir utile à sa mère et à son père quand ils ressentent de telles choses ? Comment ne pas avoir confiance en la vie, comment ne pas se sentir aimée ?
Je vais rejouer cette chanson… Encore ! Encore !

« Mer girl » est un titre vraiment plus expérimental, sans rythme, avec des bruits étranges, comme un téléphone qui sonne dans le vide, des échos lointains…
Les paroles, à peine chantées, expliquent qu’elle a fui « la_maison_qui_ne_peut_plus_me_contenir, l’homme que je ne peux pas garder, ma mère qui me hante, bien qu’elle soit partie, ma fille qui ne dort jamais ».
Pardon maman. Je n’étais qu’une enfant, je ne voulais pas te faire souffrir. Je n’étais qu’une enfant agissant comme toutes les enfants…

Elle a couru jusqu’aux cîmes des arbres, s’est plongée dans la nature, elle se cherchait elle-même… La terre l’a engloutie. Là, elle a senti les os pourris, la peau brûlée et la décomposition (de ma grand-mère ?) et elle_court, court… encore.

« Has to be » (« Il faut que cela soit ») est tout aussi expérimentale. C’est un titre qui n’est pas toujours sur l’album. La chanson est trouble, troublée et troublante. Les paroles sont murmurées, rarement chantées. C’est encore une fois les amers regrets : « Cela aurait pu être pire, j’aurai pu ne pas aimer du tout ». Les phrases : « Je sais qu’il y a quelqu’un là qui m’attend, il doit y avoir quelqu’un, il faut que cela soit »… Le désarroi, le manque d’amour, le manque de sincérité en amour est un thème récurrent depuis l’album « Erotica » et ma mère semble en avoir beaucoup souffert.

Je regrette que mon père n’ait pas su lui apporter l’équilibre qu’elle cherchait ; Guy, mon père d’adoption, semblait un temps, avoir réussi.

Ma mère a changé, depuis cet album, depuis cette période.
Elle est devenue ma mère, elle s’est convertie à la Kabbale qui lui a apporté le réconfort spirituel qu’elle cherchait depuis longtemps et ne trouvait pas dans le catholicisme punitif.

Plus jamais elle ne sera la même.

Dois-je continuer à écouter ses titres ? Sans doute, mais juste pour le plaisir, pour l’amusement, pour danser. Son duo avec Ricky Martin, celui avec Britney, ses films qui ne marchent pas (« Next best thing », « Swept away », James Bond « Die another day »), sa vie houleuse avec Guy Ritchie, la naissance de mon frère, les adoptions
Le reste de sa discographie, je la connais, j’étais là.
Et je connais cette femme, je connais cette artiste.
C’est l’origine qui m’intéressait au plus haut point pour savoir d’où je viens, qui elle est et pourquoi elle est ainsi. Mieux la comprendre pour mieux l’aimer.

Même sa carrière m’indiffère quelque peu : reprenant « American pie », chantant « Beautiful stranger » pour le film « Austin Powers », l’album électrodance « Music » aux chansons calibrées par Mirwais, dont le potentiel a été pleinement exploité dans cet album destiné à faire danser sans émouvoir ni choquer, l’album « American life » qui se voulait politiquement provocant et qui n’était pas assumé, comme l’était en son temps « Erotica », les livres pour enfants dont les histoires sont reprises de la Kabbale, les tournées mondiales toujours plus spectaculaires et toujours moins intimistes, revoici le monstre à la recherche d’un tube…

Confessions_On_A_Dance_Floor_front« Confessions on a dancefloor » (« Confessions sur une piste de danse ») est un excellent album mais il se contente de reprendre des thèmes connus des années 70-80 pour en faire des tubes. Encore des tubes et jamais rien qui touche, jamais rien qui émeut.
Peut-être parce qu’elle n’ose pas se livrer, parce qu’elle ne veut pas gratter là où ça fait mal.

Le décalage se paie : « American life » a ruiné son image aux Etats-Unis, elle a été maladroite de lancer au monde : « Croyez_vous_que_je_sois_satisfaite ? » après avoir énuméré ses biens et son personnel… Comment se sentir proche, ému devant un tel monstre d’égoïsme, d’égocentrisme et d’ingratitude, courant après le dernier tube, prête à tout pour ne pas perdre pied… Même au pire.

Je me rappelle avoir eu honte des tenues de « Hung up » et « Sorry » : elle était habillée comme personne, heureusement pour les autres.

Mais je sais, et tout le monde le regrette avec moi : ma mère n’est pas comme cela. C’est un être humain. Elle est vulnérable, elle ne vit que dans le paraître, dans le bonheur d’être aimée pour son travail sans oser penser qu’elle pourrait l’être pour elle-même, en étant sincère et en se livrant.
Humaine.

Si je me retourne sur le passé, si je n’en retire que le meilleur à mes yeux, si je devais écouter avec plaisir le travail de ma mère, je choisirais dans l’ordre chronologique :
- « Into the groove », « Dress you up », « Causing a commotion », « Express yourself » pour leur énergie ;
- « Live to tell », « The look of love », « Promise to try », « This used to be my playground », « Secret garden »,  « Inside of me », « Forbidden love » pour l’émotion ;
- « Erotica » pour l’audace assumée et efficace ;
- « Another suitcase in another hall » parce qu’elle symbolise la vie de l’artiste et
-  « Little star » parce que c’est MA chanson.

Il est tard, je suis fourbue, je dois être en forme demain pour mon entretien avec la fille aux cheveux bleus.
J’ai le trac comme une débutante, ce que je suis d’une certaine façon, bien que les événements des derniers mois m’aient profondément métamorphosée. J’ai beaucoup appris, beaucoup grandi durant cette période difficile.
Il semble hélas que l’on n’apprenne bien que par les coups. Du moins, si l’on tire une leçon de ses échecs.

Il est près de deux heures du matin et je n’arrive pas à dormir. Je suis anxieuse, dans l’attente de ce changement qui va bouleverser ma vie, comme une jeune fille qui sort de son couvent pour être présentée au monde.
Peu importe ce qui arrivera ensuite.

Je crois que, cette nuit, je suis heureuse. J’ai une mère formidable, je fais mes premiers pas de femme sur le devant de la scène publique, je gère mon image et j’ai des projets concrets pour aider les autres tout en maintenant mon train de vie. J’ai donné un sens à mon existence, je connais mes limites, mes faiblesses et mes capacités. Je suis une femme forte, née d’une femme forte qui n’a jamais rien lâché, malgré les difficultés, malgré l’amertume.

Peut-être ne sait-elle pas se contenter de ce qu’elle a, qui est énorme, et se satisfaire de ce qu’elle obtient. Fixer ses buts, les atteindre et en être heureux sans en être orgueilleux.

Je suis si jeune, j’ai tant à apprendre et pourtant, j’ai le sentiment d’avoir une réflexion de femme ayant beaucoup souffert et ayant vécu mille vies.
Peut-être que ma mère, par ses transformations multiples, a également vécu mille vies. A-t-elle appris à reconnaître le bonheur pour ce qu’il est réellement ?
Je ne sais pas. C’est si difficile à ressentir. Et puis, je ne suis pas forcément près de la vérité. Je me trompe peut-être.

Je ne dors pas, je n’arrive pas à m’abandonner au sommeil.
J’ai envie d’être à demain.
J’ai envie d’écrire sans m’arrêter.

Je sais bien que demain, après l’entretien, ma vie va commencer, je serai partie sur de nouveaux rails et je n’aurai plus besoin de ce journal.
Demain soir, je n’écrirai plus.

Mais qu’elle me manque déjà, cette expérience faite au péril de ma santé mentale et physique.

Pourtant je sens qu’il est temps d’aller de l’avant, de retrouver ma mère que j’aime malgré tout très fort, mon frère qui me manque depuis le premier jour, mon père ce héros, mon autre père qui est également un héros, ma vie, mon milieu social, mes habitudes…
Sans jamais oublier.

Il y a un temps pour tout.

Un temps pour le voyage vers Oz, un temps pour le retour aux réalités.

Je dois dormir. Mes propos sont décousus, je raconte n’importe quoi pour le plaisir de prolonger encore un peu plus.

Il faut savoir dire assez, il faut savoir dire adieu. Le pouvoir de l’au revoir

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6 juillet 2009

Lundi.

Je me suis levée tard pour laisser à mon corps le privilège de la nuit longue, du plaisir de traîner le matin dans les draps et d’oublier le monde un peu plus longtemps encore.
J’ai sonné pour le petit déjeuner, ensuite je suis restée au lit, où j’ai lu pendant une heure, environ, n’arrivant pas à lâcher « Les commentaires royaux sur le Pérou des Incas » par Inca Garcilaso de la Vega, un noble métisse espagnol qui connaissait très bien l’histoire de ses ancêtres et qui l’a transmise par son métissage à la culture espagnole. Ce récit, profondément troublant et historiquement exceptionnel me passionne au-delà de toute raison.
Si je pouvais, je développerais plus d’études à ce sujet… Je pourrais produire des documentaires, financer des recherches et inspirer au public un nouvel engouement, comme l’Egypte a enthousiasmé l’Europe après l’expédition de Napoléon Bonaparte.

Une après-midi de détente et de concentration me permet d’être au mieux de ma forme : massage et relaxation programmée par un instructeur.
Je suis sortie un peu avec mon assistante pour me plonger dans mon passé récent et j’ai demandé au chauffeur de passer par les rues que j’ai fréquentées il y a quelques mois : tout me semblait changé, tout avait un air triste et différent, plus rien ne m’appartenait.
Je suis descendue seule de la voiture pour marcher dans le parc où des ouvriers m’avaient parlé. Je ne l’ai pas reconnu.
Le chantier a disparu, comme s’il n’avait été là que pour moi, à ce moment précis. Le jardin ne m’appartenait plus, il était un jardin, pas mon jardin.
Tout m’avait été repris, comme par enchantement. Comme si j’avais rêvé mes ballades, mes achats, mes découvertes…

Nous sommes rentrés, j’ai légèrement dîné, car il était tôt et je n’avais pas d’appétit.

Maquilleur, coiffeur, défilé de vêtements pour que je choisisse celui dans lequel je me sens le plus à l’aise. Ma tenue doit être représentative de mon humeur, de l’image que je veux donner de moi-même et de mon orientation.

J’ai opté pour un maquillage léger, les cheveux raccourcis en carré long, légèrement ondulés ; le tout reste très naturel. Je veux montrer que je suis une femme comme les autres, mais pas trop. Une femme simple, dans un autre genre.
Mes vêtements sont simples également, il s’agit d’une robe longue évasée qui me fait ressembler à une gitane. J’aime bien ça ! Avec mon regard brun, ma peau bronzée et mes cheveux libres, je suis presque une caricature de Cubaine ! Rires.
Mais j’assume.

Je suis allée dans le salon de ma suite, après une bonne hygiène buccale (respect pour l’autre !) et m’être parfumée de Classique par Jean-Paul Gaultier.

Mon opposante est arrivée, ma rivale, ma psychanalyste, mon amie intime, celle qui arrachera mes secrets avec des forceps s’il le faut, tel est le contrat.
Je ne refuse aucune réponse, elle ne se prive d’aucune question.

Elle est là, très grande, bien faite, des seins superbes et audacieux, des hanches bien plantées, une taille élégante sanglée dans un corset étroit. Elle ressemble à un matador, cuissardée, gainée de son armure de lumière.
Ses bottes montantes sont dévoilées par la jupe étroite et fendue jusqu’en haut des cuisses, résillées comme un fantasme.

Elle est intimidante, mais elle me sourit et son visage s’éclaire : froide et distante, sérieuse, imposante au premier abord, elle sait que cette impression se dissipe un peu quand elle offre ses dents de porcelaine découvertes par ses lèvres ourlées.
Elle est belle et me trouble, pour la première fois peut-être. Je n’aime pas vraiment les filles, mais elle, elle est différente.

Puissante, courageuse, je connais son histoire comme tout le monde. Elle n’aime pas en parler, de peur d’être réduite à une différence humiliante, elle en a fait une arme et un objet de respect. Elle s’est battue contre la vie et l’a mise à genoux, obtenant ce qu’elle en voulait.
Mais elle a également beaucoup souffert, c’est ce qui transparaît dans ses yeux, quoiqu’elle n’en dise rien réellement. Elle ne se plaint pas, elle vit avec, quotidiennement.

Je me sens proche d’elle, très proche d’elle. Fragile et forte, elle combat les idées préconçues, se donnant en pâture au public pour qu’il comprenne et apprenne de son existence, de son expérience.
Elle est respectée et cela se ressent.

Nous échangeons quelques amabilités, des banalités mais cela nous laisse le temps de nous mesurer l’une à l’autre.
Testant nos défenses et le moyen de nous lier sans nous renier, nous laissons nos bouches parler tandis que nos yeux observent avec acuité et que nos esprits travaillent à toute vitesse.

Nous nous asseyons un instant, puis elle se penche sur moi pour murmurer à mon oreille : « Ne t’inquiète pas, je ne suis pas méchante, bien au contraire ». Elle me sourit, nos visages l’un en face de l’autre, et elle se redresse, me laissant interdite, puis soulagée.

Son parfum doux et sucré rappelle la barbe à papa. Elle donne envie de la croquer, de la déguster, sa peau est douce et brillante, suave.
C’est le mot, elle est suave.

Auparavant, j’ai déjà rencontré de nombreuses personnalités, je les ai vues sous leur meilleur jour, dans des soirées mondaines, je les ai subies ivres ou mal habillées, je les ai appréciées simples et chaleureuses. Mais je n’avais pas d’admiration pour celles-ci.
Emma Psyché est différente, c’est une femme que je voulais rencontrer et elle est à la hauteur de mes attentes. Je crois qu’elle le savait et qu’elle en a joué, évidemment…
Mais quand même !
Quelle femme !

Les réglages de caméra prennent des heures, les lumières doivent être modifiées pour elle, puis pour moi. Nous risquons beaucoup et nous attendons toutes deux énormément de cet entretien. Je sens qu’il sera plein de surprises.

En attendant que l’équipe termine d’installer l’équipement dans le salon de ma suite, rendant le lieu plus étroit et plus intime malgré les quelques quarante personnes présentes, je m’asseois dans un fauteuil crapaud.
Elle s’est assise au même moment en face de moi sur un autre fauteuil crapaud, toutes les deux en miroir, opposées et semblables. Nous avons relevé la tête et nous sommes aperçues, troublées.

Il était temps que cette attente se termine : mon assistante m’approche et mumure que tout est prêt. Quelqu’un en fait de même pour Emma Psyché, mais elle ne semble pas être assistée. Je rougis un peu de devoir m’entourer ainsi, tandis qu’elle semble si sûre d’elle, si autonome et si indépendante qu’elle n’a besoin de personne.

Nous nous levons, quittant les angles du ring pour aller au combat.

Je rejoins ma place, sur un sofa qui rappelle celui des psys ! Mais je n’y avais pas prêté attention auparavant… Peut-être ai-je décidé cela inconsciemment ? Doit-elle donc m’accoucher de ma douleur de vivre ? De moi-même ?
Il est trop tard pour tout changer, ce serait capricieux et ce n’est pas le sujet de cet entretien. J’ai décidé d’être là, j’assume, quelles que soient les conditions.

Emma Psyché s’assoit en face de moi, légèrement décalée pour que la caméra me filme sans la gêner dans ses mouvements.
Et elle ouvre la bouche pour murmurer, froide et suave à la fois :

- Vous êtes prête ?
- Oui, répondis-je, intimidée à l’excès.
- On commence…

Un instant de silence, une pause avant de s’élancer et nous sommes parties :
- Lola Léon, vous êtes une jeune femme célèbre, fille d’une chanteuse mondialement connue… Pouvez-vous m’expliquer pourquoi je suis ici ? Son sourire carnassier me torturait l’âme. Je répondis, embarrassée :
- J’ai demandé un entretien avec un ou une journaliste pour expliquer au public ce que j’ai vécu, ressenti et traversé durant les derniers mois. J’avais besoin que l’on sache ma vérité avant de me condamner ou de m’encenser comme le font si vite les magazines people…
- Pourquoi moi ?
- Vous êtes une personnalité forte, une femme que j’admire pour ce qu’elle a vécu ainsi que pour son travail. J’ai pensé que je me sentirais plus en confiance avec vous qu’avec une autre personne, journaliste ou non.
- Je ne suis pas journaliste…
- Je sais, mais c’était intéressant, justement de savoir quel regard vous posez sur mon passé, sur ma vie et quelles questions vous pourriez me poser, loin du journalisme ordinaire.
- Êtes-vous heureuse d’être ici, maintenant ?
- Je le suis, mais j’ai le trac ! Je me suis mise à rire et les yeux d’Emma m’ont bercée de tendresse et de compassion.
- Nous sommes donc ici pour tout savoir… Êtes-vous réellement comme le prétendent les magazines ?
- Que disent-ils ?
- Que vous êtes une ingrate qui veut la mort de sa mère ! Nous rions toutes les deux avec une pointe d’amertume.
- Je ne suis pas une ingrate. Je respecte le travail de ma mère en tant qu’artiste, même s’il ne me plaît pas toujours.
- Que savez-vous de sa carrière ?
- Je suis lasse qu’on me parle d’elle !
- On en discute maintenant et je n’y reviendrai pas…. Pas trop !
- D’accord, j’imagine qu’il faudra bien aborder ce sujet. J’ai découvert la musique et les origines de l’artiste récemment, pas l’intermédiaire d’un admirateur qui possède sans doute tout ce qui existe à son sujet, ou presque…
- Vous ne saviez rien de ce qu’elle chantait avant votre naissance, par exemple ?
- Pas du tout !
- Vous plaisantez ?
- Non ! Elle n’en parlait jamais… Je sais ce qu’elle a fait quand j’étais plus jeune, dès que j’ai été assez grande pour comprendre.
- Et quel regard peut avoir une jeune fille sur sa mère quand elle sait qu’elle a commis des extravagances telles que « Erotica », par exemple ?
- J’avoue que cela m’a profondément choqué. Mais j’ai été plus mal à l’aise devant la nudité de la jeune femme arrivée à New-York qui posait nue pour des photographes…
- C’est très Marilyn, tout ça….
- Je sais, c’est bien ce qui me pose problème. Je n’aime pas qu’elle ait pillé cet héritage ainsi. Elle a beaucoup trop copié Marilyn.
- Mais elle a fait carrière sur sa personnalité, non ?
- Oui. Une femme hors du commun, mais sous de nombreux aspects très triste et mal conseillée. Même si elle assume tout.
- Vous aimez certaines de ses chansons ?
- Beaucoup. Pas forcément les plus connues, ni les plus obscures.
- Je ne vous demanderais pas de les chanter….
- Grâce au ciel ! Merci ! Nous avons ri et l’atmosphère s’est détendue. J’aime les chansons belles, poétiques, qui touchent l’âme. J’aime aussi quelques titres plus remuants ! Mais c’est assez variable, il y a tant de bonnes choses en quinze ans de carrière (je compte celle avant ma naissance, pas la suite).
- Vous avez du respect pour elle ? Maria Riva, la fille de Marlène Dietrich disait qu’elle avait du mépris pour sa mère mais du respect pour La Dietrich.
- C’est amusant que vous me parliez de cela, j’ai lu sa biographie il y a quelques semaines…. J’ai du respect pour l’artiste, malgré ses faiblesses. J’ai aussi du respect pour ma mère, également malgré ses faiblesses. Je n’ai pas vraiment à me plaindre, finalement.
- Pourquoi êtes-vous là alors ?
- Je n’ai pas demandé cette interview pour me plaindre ! Je voulais juste faire part de mon échappée belle, il y a quelques mois. M’expliquer, me présenter en quelque sorte, au public.
- Vous vous êtes enfuie de votre château ? De la vie mondaine ? Vous avez fui l’argent ?
- C’est plus difficile à expliquer que cela. Je n’avais pas conscience de ma chance, et je ne supportais pas les contraintes allant de paire avec cette vie aisée. J’ai voulu devenir indépendante, une jeune fille ordinaire ; aimer et être aimée pour moi-même.
- Avez-vous trouvé ce que vous cherchiez ?
- J’ai rencontré l’amour, du moins le croyais-je, mais il n’aimait que la vie que j’avais laissée derrière moi. J’ai été confrontée à la vie réelle, celle des gens ordinaires et simples qui nous regardent sans doute en ce moment et qui doivent penser que je suis folle d’avoir voulu laisser tout cela !
- Mais on ne sait bien ce que l’on a que lorsqu’on le perd.
- C’est vrai. Mais, bien que je sois consciente de la différence entre moi et les autres, je pourrais me réfugier dans la jet-set mondaine et rester égoïste. Ce que j’ai vu dans le vrai monde me pousse à penser différemment. Je suis différente.
- Vous allez faire vœu de pauvreté ? Rires…
- Non, sans doute pas, je suis habituée à un certain luxe que j’apprécie pleinement désormais. Mais je vais œuvrer pour les autres, toute ma vie.
- Vous oublierez ces paroles dans quelques temps.
- Non, je le promets. Je me le promets.
- En clair, si je résume, vous avez changé par votre fugue de petite princesse égoïste et vous avez découvert qu’un monde entier vous entourait. Du coup, vous revenez sur le devant de la scène, pleinement consciente de votre potentiel, dû uniquement à votre naissance, et vous voulez expliquer aux gens qui nous regardent que vous n’êtes plus cette petite garce égocentrique mais une jeune femme altruiste désormais ?

Je restais sans voix. Les larmes me montaient aux yeux, je n’avais pas prévu qu’elle me poignarderait ainsi. Je la croyais de mon côté.

Le temps semblait immobile, défilant sur les prompteurs, sur l’horloge, mais pas dans mon cœur, ni dans mon âme où tout était arrêté.

Mon agent s’arrachait les cheveux, mon attachée de presse tentait de remettre en place sa mâchoire décrochée comme par un uppercut violent et foudroyant.

Je devais parler, mais je restais sans voix, les yeux baissés, les larmes contenues tant bien que mal.

Puis elle me lança :
- Je vous crois. Je pense que vous êtes sincère.
- C’est vrai ? Je relevais les yeux vers elle, emplis de gratitude malgré la gifle magistralement envoyée.
- Je pense que certaines étapes d’une vie peuvent vous transformer radicalement. Je sais, par expérience, que la traversée de turbulences violentes remettent en question toute une personnalité. Je sais aussi, sans même vous connaître réellement plus que les gens qui nous regardent, que vous n’êtes pas une jeune fille stupide, bien au contraire, et que votre émotivité et vos sentiments vous emmènent très loin. Vous êtes une passionnée, une exaltée. J’espère sincèrement que vous irez au bout de votre destin.
- Je vous remercie ! Ca me fait tellement de bien d’entendre ça !
- Si vous ne devenez pas ce à quoi vous aspirez aujourd’hui, je vous retrouve pour vous donner une fessée que vous n’oublierez pas !

Elle se mit à rire. Sa main se posa sur ma main et chacun dans la pièce reprit son souffle, après l’avoir retenu pendant plusieurs minutes.

- Qu’allez-vous faire désormais ?
- Je vais tenter d’être une bonne actrice. J’ai besoin de me réaliser, de maintenir mon niveau de vie par mon travail, comme tout le monde, sauf que mon travail est sans doute l’un des plus gratifiants et l’un des plus exigeants. Et, une fois installée, je tournerai mes efforts vers les autres.
- Mère Thérésa est morte depuis longtemps, vous savez…
- Je_ne_suis_pas_une_sainte__je_ne_suis_pas_un_ange. Je suis juste une femme privilégiée, pleinement consciente de ses chances et de ses capacités et qui veut se tourner vers son bonheur et celui des autres. J’aimerais influer, ne serait-ce qu’un peu, en faveur d’un monde meilleur en aidant d’un bout à l’autre des personnes en difficultés. Il faudra faire un choix, les aider à se relever, à marcher seul et à avancer.
- J’ai pleinement confiance en vous. Vous êtes une jeune femme formidable, très émouvante, sincère et vraie. C’est assez inattendu dans le milieu superficiel du spectacle.
- C’est vrai, mais les événements récents m’ont confortée dans ma destinée. Je veux me réaliser pleinement et tendre la main en retour. Même si c’est injuste, même si je ne peux sauver le monde entier. J’en suis consciente.
- Vous avez des projets professionnels ?
- Oui, je dois tourner plusieurs publicités, j’ai aussi obtenu quelques rôles intéressants dans divers films qui vont être tournés dans un an, au plus tard. Je vais faire des défilés, et l’on m’a même proposé un livre.
- Vous avez quelque chose à écrire ?
- Je tiens un journal intime depuis le début de cette aventure, par hasard. Je pourrais accepter son éventuelle publication.
- Vous n’allez plus vous livrer quotidiennement à cet exercice ?
- Je crois que j’en ai fini avec l’analyse de moi-même. Je veux vivre, me tourner vers l’extérieur, agir plutôt que penser tout le temps. J’en ai assez. Je veux de l’action !
- Il est possible que cette expérience enrichisse les autres, vous devriez accepter sa publication.
- Vous n’avez jamais, jusqu’à présent, accepté de dévoiler votre douleur intime, si je ne me trompe, Emma…
- C’est vrai. Touché ! Mais mon expérience douloureuse n’est peut-être pas comparable. Et je suis pudique !
- Moi également. Je peux accepter, si ça aide certaines personnes, si les médias peuvent me comprendre désormais. On ne sait jamais….
- J’ai appris que vous aimiez lire également.
- J’adore ! Je pourrais passer des heures à fuir le monde réel par la lecture !
- Je vous offre ces exemplaires rares d’une édition épuisée de Jean-Jacques Pauvert, l’intégrale de Sade.
sade
- Sade ? Pourquoi lui ?
- L’avez-vous déjà lu ? Parcouru ?
- Non, j’avoue, jamais.
- Et bien, j’ai décidé de vous les offrir aujourd’hui en espérant que vous les apprécierez comme je les ai appréciés pendant mon adolescence. Ils mêlent la plus grande cruauté et la plus grande crudité aux meilleures leçons de sagesse. Le regard de Sade sur la société est sans complaisance, le tout est un tableau relatant la toute-puissance du mal, de la méchanceté, et la nécessité douloureuse d’y prendre part ou d’en être victime.
- Pourquoi me le donner à lire ?
- Il vous apprendra les relations humaines et vous confortera dans votre analyse du monde.
- Merci. C’est assez inattendu.
- Nous en avons fini, je crois. Ce n’était pas si terrible que cela, n’est-ce pas ?
- Je n’en suis pas aussi sûre que vous, mais j’imagine que vos propos sont également ceux des gens dans la rue, c’est l’image qu’ils ont de moi.
- Qu’ils avaient…
- Merci.
- Merci. Avez-vous une dernière déclaration à faire, pendant que la caméra est sur vous ?
- Oui… Je m’appelle Lourdes Maria Ciccone Léon, on me surnomme Lola. Ma mère est Madonna et je suis fière d’elle, je suis fière d’être sa fille.
- Parfait, coupez ! »

5 avril 2009

Le journal (imaginaire) de Lourdes Maria

Ce journal, destiné à être publié, est dans l'attente d'un éditeur. Merci de contacter Emma Psyché, l'auteur, si vous êtes intéressé : emmapsyche@gmail.com

Dans cette attente, pour rester vivant, le journal devient un blog interactif. Bonne lecture !

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